top of page

"Entrelacs."

 

Depuis la préparation de mon exposition à Issoire, hiver 2012-13, je m’intéresse aux motifs sculptés des églises romanes et à certains monstres avec décors de volutes et rinceaux. L’origine est la forêt. Au Moyen Age ces lieux d’ombres et de peurs, envahissaient le territoire. A partir du loup, les images de monstres, se multiplièrent. J’ai repris ces menaces pour les transposer dans notre monde.

Entrer dans le jeu des entrelacs qui décorent Saint-Lazare d’Avallon, réserve surprise et plaisir. Cet art sculptural se révèle subtil. Non seulement chaque linéament se modèle en divers reliefs propres, qui se subdivisent et s’entrecroisent, mais encore, il parvient à épouser l’arrondi du fond sur lequel il se pose. De plus, chaque motif se décline en d’infinies variantes musicales.

Dans mon travail, une des étapes consiste à produire des sortes de sédiments. Les formes colorées sont posées de façon classique, au pinceau, sur la toile déployée au sol. Elles sont ensuite noyées sous l’eau et laissées à sécher le temps qu’il faut. Le résultat ressemble à des empreintes. Cette méthode a été trouvée autrefois dans le désir de peindre en évitant la « touche ».

Ces formes incomplètes, pâlies, parfois indistinctes, se bornent à évoquer. Elles suggèrent un visage, un corps, un animal toujours un peu monstrueux. La flaque et le jet d’eau déforment et laissent la trace d’un mouvement. Le geste imprimé donne vie. Parfois on devine comme un large souffle tellurique. Les acteurs principaux sont les éléments naturels, puissances en filigrane.

Certains motifs, répétés en frises sur les voussures des portails, sont relevés puis taillés dans le bois ou le lino. Ils s’appliquent sur la peinture selon la technique de la gravure. Ils s’ordonnent en se répétant sur les fonds de volutes, de rinceaux, ou de bestiaire. Ces nouvelles empreintes, infidèles, incomplètes, vacillantes, ne peuvent donner une claire image de ce qui est répété.

Ainsi, deux niveaux d’empreintes se superposent, deux écritures du temps. Le résultat ressemble au palimpseste: « parchemin préalablement utilisé, et dont on a fait disparaître les inscriptions pour y écrire de nouveau. » On devine le plan inférieur, les deux s’entremêlent et imitent le tressage des entrelacs, ce qui augmente la difficulté de lecture induite par les techniques utilisées.

On atteint ainsi un troisième niveau de lecture qui est celui du temps qui passe. La collégiale d’Avallon a beaucoup souffert. Les traces de son vieillissement sont multiples, de nombreuses parties ont disparu, soit cassées, supprimées et remplacées, soit érodées. Le temps élague, simplifie, renforce l’essentiel ou le trahit. Malgré tout on devine des scènes, montreur d’ours ou acrobate.

Chaque motif décoratif se déduit le plus souvent, de la feuille d’acanthe. Sa forme complexe, bien que toujours enfermée dans le rinceau, se fait remarquablement précise et exacte dans le petit détail. Trois trous rapprochés semblent évoquer les ciselures des bords. La structure est donc à la fois abstraite, le rinceau, les points évidés, et à la fois concrète. C’est exactement mon parti-pris pictural.

Raphaëlle Pia, décembre 2013

bottom of page